Page:Pelletan - Le Monde marche.djvu/118

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de remarquer en passant que vous faites prodigalité du mot de rêveur. Ce mot, je le sais, a eu dans le temps une haute fortune. Il a été le seul argument de vos adversaires, pendant quinze années. Quand ces hommes d’État, au jour le jour, vous entendaient prophétiser l’avenir, du haut de la tribune, ils regardaient de côté et ils vous appelaient rêveur, et aujourd’hui vous vous baissez pour ramasser à terre la pierre d’injure que d’autres vous ont jetée, pour nous la renvoyer à nous, vos seconds dans la lutte, habitués, de longue date, à braver cette réponse.

Si, encore, le mot frappait seulement sur le pauvre écrivain perdu, enseveli dans l’humilité du dernier rang, l’épigramme, j’en conviens, pour vous comme pour moi, pourrait, à tout prendre, tirer médiocrement à conséquence. Mais quand je viens à songer sur quelle élite de têtes, sur quelle rangée de génies l’accusation a dû passer avant de tomber sur le moindre des moindres, j’éprouve, je l’avoue, pour votre responsabilité une certaine inquiétude.

Mais non. Je reprends ma parole. Je fais ici trop bon marché de l’arrière-ban de la pensée. La recherche désintéressée de la vérité a en soi quelque chose de si sacré, que lorsqu’un penseur dévoré de cette soif divine, fût-il le plus petit, vient à trébucher dans une erreur, vous devriez, vous le premier, précisément parce que vous êtes le plus grand, le relever avec bonté et le traiter avec respect.