Page:Pelletan - Le Monde marche.djvu/145

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ment l’avantage, et finit même par éconduire du ciel le dieu malfaisant. Ainsi, dans la civilisation sanskrite la plus reculée, Siva, ou le dieu mauvais, accapare, en quelque sorte, pour son compte personnel, l’adoration de la multitude. Brahma attend son jour en silence. En Perse, seconde civilisation en date, Arihman, dieu subalterne, a déjà perdu sa copropriété de l’éternité. Un jour doit venir où Ormutz, le dieu bon, doit le précipiter dans l’abîme. En Égypte, troisième étape de la civilisation, Osiris a gagné la victoire dès ce monde-ci et relègue Typhon dans le désert. En Grèce, qu’est-ce que Saturne ? un dieu enseveli dans la légende. Jupiter règne seul au premier rang sur l’immensité de l’Empyrée. En Judée, Moloch est à peine un souvenir ; Jéhovah l’a consumé, en passant, de la foudre de son regard. Plus tard, enfin, après Jéhovah, le principe mauvais descend de l’état de dieu à l’état d’ange déchu, et prend dans la nouvelle théogonie la figure grotesque de Satan. Pendant toute cette recrudescence de souffrance matérielle, appelée l’époque du moyen âge, Satan joue dans l’humanité le rôle de personnage important. Il remplit le monde du bruit de son nom, et il le couve, en quelque sorte, sous son aile de chauve-souris. Mais aujourd’hui où est Satan ? qui l’a vu ? qui le voit ? qui lui fait une part dans son âme ou dans sa terreur ? peut-être un paysan Bas-breton, là-bas, lorsque le soir, enveloppé de sa peau de chèvre, il regarde sous un vent sinistre d’automne un nuage courir sur la bruyère.