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mon voyage aventureux

d’un buffet et d’une table de bois blanc grossièrement fabriquée. Le mari est charpentier, il les a faits lui-même. Le buffet n’est pas adossé au mur, il y a une penderie par derrière, c’est là que je me cacherai si on vient. Dans un angle de la pièce, un énorme morceau de lard, tout en graisse, pend du plafond.

Je suis loin d’être rassurée : je pense que la police n’aura pas de peine à me trouver, pour peu qu’elle le veuille. Et les paroles de ma dernière hôtesse me reviennent : « fusillée sans jugement ». Cela me paraît absurbe, car, enfin, si je suis bolcheviste, mon ignorance de la langue me rend tout à fait inoffensive ; d’ailleurs, d’après les conventions bourgeoises, je n’appartiens pas aux gens d’ici, je suis Française et on n’a pas autre chose à faire qu’à me rendre à la France qui s’arrangera de moi. Oui, mais je sais aussi combien la guerre a bouleversé toutes les conventions. Aujourd’hui la bourgeoisie a fait litière des principes démocratiques : la liberté de penser a cessé d’exister. Il n’y a plus sur la terre entière que le duel formidable des deux classes : la bourgeoisie et le prolétariat. Et je suis sur le terrain de la bataille. Les États-tampons, c’est l’Europe, qui les a crées pour séparer la Russie bolcheviste des nations capitalistes. Qui sait, peut-être qu’il n’y a plus de lois ici et que tout est permis contre les communistes, quel que soit leur pays. C’est là qu’on a placé les fameux