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L’ÉDUCATION DU GOUT

d’avoir réalisé l’alliance de la beauté antique avec l’élévation chrétienne.

Cependant l’indifférence au sentiment du beau est un fait dont l’histoire offre plus d’un exemple. Cette indifférence peut résulter de causes très diverses, d’abord l’habitude journalière des plus grands spectacles en émousse l’impression, puis la confusion trop commune entre le beau et l’extraordinaire, enfin la dégradation et l’inertie morale des hommes dépravés par le vice.

Si nous avons le bonheur d’échapper à ces trois écueils, nous pourrons goûter les bienfaits d’une bonne éducation esthétique. Une artiste d’un goût très délicat, Mme Lebrun-Vigée, écrivait en 1789, à son arrivée en Suisse : « Je n’avais jamais vu de hautes montagnes. Mon premier sentiment fut celui de la peur ; mais je m’accoutumai insensiblement à ce spectacle et je finis par l’admirer. » De la part d’un peintre, cet aveu naïf est un puissant argument en faveur de l’éducation du goût.

Pour cela, tout simplement mettons-nous en face des grands spectacles de la nature et laissons-nous aller aux émotions dont notre âme est saisie et pénétrée. Taisons-nous alors, écoutons ; nulle parole humaine ne peut remplacer le langage que Dieu parle au cœur et à l’imagination. Tout est beau et touchant dans la nature aux yeux de l’homme qui regarde et qui pense. Le coucher du soleil, la fraîcheur du soir succédant à l’ardeur d’une journée d’été, le calme de la nuit qui s’avance, la lueur discrète et argentée de la lune, sont autant de faits naturels, simples, journaliers, qui jettent l’âme dans une douce rêverie et lui apprennent à goûter cette beauté divine dont saint Hilaire a dit : a La vérité de Dieu n’a pas besoin de notre mensonge. »

Ainsi comprise, l’éducation du goût est presque aussi importante que l’éducation de la sensibilité et de la volonté.