Page:Pellissier - Le Mouvement littéraire contemporain, 1908.djvu/197

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vers le primitif. Pour ce qu’elle a eu de décadent, la jeune école peut reconnaître un initiateur en Sainte-Beuve, qui, dans ses vers laborieux et retors, exprimait déjà les curiosités inquiètes et les maladives tristesses d’une âme prématurément flétrie. Quant aux symbolistes mêmes, Sainte-Beuve ne s’en rapproche que par certains tours de style[1], au moyen desquels il suggère des sensations trop subtiles pour être directement exprimées. Et cependant, si les symbolistes doivent, en vertu de leur esthétique, amortir l’éclat et assouplir la rigidité des formes parnassiennes, on peut dire qu’il les devança en évitant tout ce qui « pèse » et « pose », comme dit l’un d’eux, tout ce qui est symétrique et concerté, tout ce qui sent l’éloquence.

Entre les poètes romantiques, Alfred de Vigny a été le plus cher au symbolisme. On peut en donner plusieurs raisons. D’abord, son obscurité. Et je veux bien qu’elle soit due à certaine gaucherie d’exécution, à ce que le style, chez lui, a souvent de pénible, d’oblique, de tourmenté ; mais elle se rapporte encore à certaine conception de l’art qui n’est pas la même que celle des autres romantiques. Victor Hugo, si fécond et si divers, contient, à vrai dire, Alfred de Vigny tout entier ; et pourtant ce qui, jusqu’à la fin, caractérise essentiellement son génie, c’est la netteté de la vision, c’est une merveilleuse aptitude à saisir et à rendre les choses concrètes. Qu’est-ce qui domine, au contraire, chez Alfred de Vigny,

  1. Archaïsmes, alliances de mots, allitérations, etc.