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PENSÉES DE MARC-AURÈLE.

les êtres et tous les phénomènes. L’être est comme un fleuve qui coule perpétuellement ; les forces de la nature sont dans des changements continuels ; et les causes présentent des milliers de faces diverses. Rien pour ainsi dire n’est stable ; et cet infini qui est si près de toi est un abîme insondable, où tout s’engloutit, soit dans le passé, soit dans l’avenir. Ne faut-il pas être insensé pour que tout cela puisse vous gonfler d’orgueil[1], ou vous tourmenter, ou vous rendre malheureux, quand on songe combien de temps dure ce trouble et combien il est peu de chose ?

    fondeur. Pourtant, quelque vraie et quelque utile qu’elle soit, elle est d’une application difficile au milieu des affaires et de toutes les diversions de la vie extérieure. Mais, puisqu’un empereur pouvait la faire, ce doit être une démonstration pour tout le monde et un encouragement à l’imiter. Cette considération de la mobilité de toutes choses est d’une grande importance ; et il est certain que, dans la plupart des cas, elle pourrait beaucoup contribuer à assagir l’âme de l’homme. C’est le Dabit deus his quoque finem de Virgile. Ce n’est pas là du reste diminuer le prix de la vie ; c’est la mesurer à sa véritable valeur ; et la philosophie donne en cela les mains à la doctrine chrétienne et biblique.

  1. Que tout cela puisse vous enfler d’orgueil. Cette humilité a d’autant plus de poids qu’elle est dans la bouche d’un maître du monde. Bossuet a dit : « Qu’est-ce donc que ma substance, ô grand Dieu ! J’entre dans la vie pour en sortir bientôt : je vais me montrer comme les autres. Après, il faudra disparaître. Tout nous appelle à la mort ; la nature, comme si elle était presque envieuse du bien qu’elle nous a fait, nous déclare souvent et nous fait signifier qu’elle ne peut pas nous laisser longtemps ce peu de matière qu’elle