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PENSÉES DE MARC-AURÈLE.

en opposition avec le vice qui te blesse. Ainsi, contre l’ingrat, elle nous a permis la douceur, et telle autre vertu contre tel autre genre de faute. Toujours il t’est loisible d’offrir tes conseils et tes leçons à celui qui s’égare, puisque toujours, quand on dévie, on quitte la voie qu’on s’était proposée[1], et que c’est une erreur qu’on commet. Et puis, quel tort as-tu souffert[2] ? En y regardant de près, tu verras que pas un de ceux contre qui tu t’emportes si vivement, n’a pu rien faire absolument qui corrompît ton âme ; or, le mal et le tort personnel que tu pourrais éprouver ne consiste absolument qu’en cela. Est-ce donc un mal ou une chose si étrange qu’un ignorant fasse œuvre d’ignorance ? Examine si ce n’est pas bien plutôt à toi-même qu’il faudrait t’en prendre[3] de n’avoir pas prévu qu’un tel homme commettrait une telle faute. Car la raison te donnait bien des motifs de présumer que, selon toute apparence, il commettrait ce délit ; et si tu t’étonnes qu’il l’ait

[4]

    qui se prémunit contre la faute par les exemples en sens contraire.

  1. On quitte la voie qu’on s’était proposée. Voir plus haut, liv. VIII, § 59. C’est la doctrine platonicienne, qui peut s’appliquer très-utilement au pardon des offenses.
  2. Quel tort as-tu souffert ? Autre motif de pardon et de tolérance. Voir passim et surtout liv. II, § 1.
  3. À toi-même qu’il faudrait t’en prendre. Autre motif non moins puissant.
  4. Que veux-tu-donc