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LIVRE X, § II.

II

Observe attentivement ce que demande ta nature, comme si la nature seule[1] devait te guider ; et une fois que tu connais son vœu, accomplis-le avec constance, jusqu’au point où la nature animale en toi devrait en trop pâtir[2]. En conséquence, observe avec une attention suffisante les exigences de la nature animale. Mais ce soin même doit être subordonné au devoir de n’altérer jamais cette autre nature qui fait de toi un être raisonnable[3]. Or, l’être raisonnable est en même temps un être fait pour la société. En appliquant scrupuleusement ces règles, tu n’as point à te préoccuper d’autre chose.

  1. La nature seule. En d’autres termes, la partie matérielle de notre être.
  2. La nature animale en toi devrait en trop pâtir. C’est toujours un point fort délicat que de faire au corps sa juste part. Les natures enthousiastes, surtout quand elles sont jeunes, l’immolent quelquefois avec une exagération héroïque mais insensée. La limite est difficile à reconnaître et à tenir avec fermeté et sagesse. Plus tard, l’âge amène des défaillances, auxquelles l’âme succombe. La véritable mesure, c’est d’avoir dans le corps, auxiliaire indispensable de l’âme, un instrument qui soit toujours docile et toujours fort. L’ordre est renversé de fond en comble, si c’est le corps qui commande et l’âme qui obéit.
  3. Un être raisonnable. C’est le caractère propre de l’homme ; tout le reste lui est commun avec les animaux. Voir plus loin, dans ce même livre, § 38.