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LIVRE II, § XIII.

XIII

Est-il rien de plus méprisable[1] que de sortir sans cesse de soi-même pour parcourir tout le cercle des choses, « pour sonder toutes les profondeurs, » comme dit le poëte[2], pour pénétrer à force de conjectures ce qui se passe dans l’âme du prochain, et de ne pas sentir que tout ce qu’il nous faut au monde, c’est de ne penser qu’au seul génie que nous portons en nous[3] et de le ser-

  1. Est-il rien de plus méprisable. Toutes ces réflexions de Marc-Aurèle sur l’infirmité de l’homme, qui est poussé à sortir sans cesse de lui-même, ont déjà le ton de tristesse majestueuse et de grandeur que prendra plus tard notre Pascal, au nom de la foi chrétienne, ou plus simplement peut-être au nom de sa propre nature. « Nous ne nous contentons pas de la vie que nous avons en nous et en notre propre être. Nous voulons vivre dans l’idée des autres d’une vie imaginaire, et nous nous efforçons pour cela de paraître. » Pensées, article 2, p. 23, édition Havet.

    Socrate, par une réflexion tout à fait analogue à celle de Marc-Aurèle, disait : « J’en suis encore à accomplir le précepte de l’oracle de Delphes, Connais-toi toi-même ; et quand on en est là, je trouve bien plaisant qu’on ait du temps de reste pour les choses étrangères… Je m’occupe non de ces choses indifférentes, mais de moi-même. Je tâche de démêler si je suis en effet un monstre plus compliqué et plus furieux que Typhon lui-même, ou un être plus doux et plus simple qui porte l’empreinte d’une nature noble et divine. » Phèdre, p. 9, traduction de M. V. Cousin.

  2. Comme dit le poëte. C’est Pindare, à ce qu’on suppose ; mais je ne saurais dire où précisément.
  3. Au seul génie que nous portons en nous. C’est la pensée de Socrate, qui vient d’être citée. Voir aussi plus bas, § 17.