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PENSÉES DE MARC-AURÈLE

bien, satisfait de la part que lui a attribuée l’univers et qui se contente d’agir pour son propre compte avec justice et d’être toujours dans des dispositions bienveillantes.

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Tu as vu cela ? Vois maintenant ceci. Ne te trouble pas ; fais en sorte d’être simple. Un homme commet-il une faute ? C’est contre lui-même qu’il la commet. T’est-il arrivé quelque chose ? Ce quelque chose est bon[1], car dès l’origine cela avait été arrêté pour toi comme un effet des lois universelles qui déterminent chaque événement. En somme, la vie est courte : tire profit du moment présent par la réflexion et la justice. Sois sobre[2], mais sans exagération de rigueur.

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Ou bien le monde est ordonné, ou bien c’est un chaos, confus[3] il est vrai, monde cependant. Quoi ? En toi-même pourrait se constituer un certain ordre et il n’y aurait que désordre dans le tout ? Et cela quand toutes les choses sont à la fois si distinctes et si confondues et solidaires !

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Caractère sombre, caractère efféminé, caractère dur[4], sau-

  1. Les manuscrits portent συμϐέϐηκέ σοί τι καλῶς. On a proposé κακῶς au lieu de καλῶς. Cette correction me paraît contraire au sens de la phrase tout entière. Marc-Aurèle veut dire que tout ce qui arrive est bon, parce que rien n’arrive contrairement aux intentions de la nature. Mais καλῶς déterminant συμϐέϐηκε ne vaut pas mieux ; il faut donc, comme l’a proposé Casaubon, mettre un point d’interrogation après τι. [Pour la doctrine exposée ici, cf. infra VI, 44, en note.]
  2. νῆφε ἀνειμένος. J’aimerais mieux, avec Schultz, lire ἀνειμένως, [comme y invite la leçon barbare du manuscrit A : ἀνειμέρως.] La traduction : « Sois sobre, même quand tu te relâches, » est, à mon avis, inexacte. Marc-Aurèle renouvelle ici une recommandation qui se rencontre fréquemment dans les Pensées ; il faut être sage, mais avec simplicité, et sans effort.
  3. [Conjecture de Schultz. — Var. : « c’est un chaos confus, et c’est pourtant le monde. »]
  4. [Var. : « Il y a le caractère noir, le caractère efféminé, le dur, etc. » — Lambeau de pensée ; énumération bien incomplète, donc à peu près sans portée, de certains vices de caractère. Il est intéressant pourtant d’y trouver les travers de nature joints aux défauts d’éducation et de métier. L’expression μέλαν ἦθος a été rencontrée plus haut (IV, 18, voir la note) dans les manuscrits de Marc-Aurèle. Nous l’avons, à cet endroit, rejetée de notre texte. D’autres, adoptant une conjecture de Xylander, y ont vu une citation d’Agathon le comique. Parmi ceux-là, M. Michaut suppose que la présente pensée est une définition des mots μέλαν ἦθος. Comment peut-on s’imaginer que l’épithète μέλαν (noir, sombre) convienne particulièrement aux caractères d’une femme, d’un enfant, d’un boutiquier, mais non, par exemple, à celui d’un jaloux ? Voilà, je le crains, un problème de sémantique insoluble.]