Page:Perreault - Maria Chapdelaine L'épouse et la mère, 1927 01.djvu/10

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
L’ÉPOUSE ET LA MÈRE

Qu’est-ce donc que cette madame Philippe Croteau, cette Maria Chapdelaine devenue épouse et mère ?

Et, d’abord, permettez-moi de faire un retour en arrière, afin que vous soyez mieux en état d’apprécier les mérites de cette excellente Canadienne.

Dans une des concessions les moins avantageuses de St-Prosper, dans le comté de Champlain, vivait une famille fort honorable dont le chef s’appelait Philippe Croteau. L’unique richesse de cette famille reposait sur le capital humain. Les revenus d’une terre plutôt ingrate et d’une modeste étendue suffisaient à peine pour faire vivre les petites bouches qui, autour de la table, augmentaient régulièrement et, souventes fois, dans la proportion de deux par année. En treize ans, naissent treize beaux et vigoureux enfants, dont cinq paires de jumeaux. Le couple Croteau vivait besogneux, mais heureux au milieu de tout ce petit monde. On n’avait pas la moindre préoccupation pour l’avenir : c’était là l’affaire de la Providence. Pour le moment, on limitait les besoins de chacun au strict nécessaire, et la joie de vivre embellissait cette maison féconde.

Un jour, la Providence en qui on n’avait cependant jamais douté, porta un coup fatal au bonheur de la famille : le chef, si utile, si nécessaire, si indispensable même, fut emporté par la maladie. Ce n’était plus la gêne, c’était la ruine. Cependant, il fallait vivre et, surtout, faire vivre tous ces orphelins dont l’aîné avait à peine seize ans.

Madame Croteau fit courageusement ce qu’elle pût en attendant des jours meilleurs. Soit à entreprendre des lavages dans la paroisse, soit à traire les vaches pour les voisins, soit à remplir d’autres tâches mercenaires, elle put procurer aux siens juste ce qu’il faut pour ne pas mourir de faim : la tranche de pain quotidien.


page neuf