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LES FABLIAUX

vice, de décrire aux jeunes bacheliers leurs devoirs chevaleresques. Ce qui frappe surtout, c’est leur sérieux de maîtres de cérémonies, leur solennité monotone, aggravée encore par la prétention de la forme, par les jeux de rimes riches. Voici que s’annoncent déjà Eustache Deschamps, Alain Chartier, et les grands rhétoriqueurs. Dans la décadence de l’ancienne poésie du moyen âge, un seul genre est encore en pleine floraison : c’est le genre moral, c’est le genre ennuyeux.

Ce qui surprend, c’est que plusieurs des pompeux ménestrels du début du xive siècle, au milieu de leur œuvre toute grave, toute décorative et moralisante, aient encore glissé des fabliaux et des plus plaisants.

Tels sont : Watriquet Brassenel de Couvin, ménestrel du comte de Blois et du connétable de France Gaucher de Chatillon, et qui rima les Chanoinesses de Cologne et les Trois dames de Paris, la plus réaliste des scènes de beuverie ; — Jacques de Baisieux, qui vécut sans doute de la même vie de poète officiel et dont nous avons conservé, auprès des dits allégoriques des Fiefs d’Amors et de l’Espée, le fabliau de la Vessie au prestre ; — Jean de Condé, dont le père, Baudouin, fut lui-même un illustre ménestrel ; et qui, héritant de la charge paternelle, « vestit de bonne heure les robes des escuiers » du comte de Hainaut et pendant trente années, de 1310 à 1340, poétisa pour les riches cours hennuyères et flamandes : dans son œuvre volumineuse et monotone, à côté des graves dits des Trois Sages ou de l’Honneur changie en honte, voici des contes gras qui vont du risqué au grossier : les Braies au prestre, le Pliçon, le Sentier battu, le Clerc caché derrière l’ « escrin ».

Ces fabliaux tard venus ne sont pas les moins joyeux de notre collection. Ils nous montrent que la nouvelle en vers ne peut pas être atteinte par une décadence interne, comme les épopées ou les romans de chevalerie. Ici le sujet est toujours aussi neuf, aussi brillant qu’au premier jour, parce qu’il continue de vivre dans la tradition orale et que le conteur n’a qu’à se baisser pour l’y ramasser. Si le genre a péri, ce n’est pas qu’il se soit gâté, c’est que la mode a passé ailleurs.

Dans l’œuvre de ces ménestrels, les fabliaux ne peuvent plus s’expliquer que comme des survivances de l’âge précédent. Si