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LE ROMAN DE LA ROSE

mais leur développement tiendrait ici trop d’espace. Tous montrent qu’il manque peu de chose au poème de Guillaume pour être complet, même si l’amant devait cueillir la rose, et qu’avec une conclusion assez courte il pouvait être considéré par l’auteur comme terminé.

Des très nombreux manuscrits du Roman de la Rose aucun ne donne le poème de Guillaume seul. La plupart ont en même temps la continuation de Jean de Meun ; dans deux seulement cette continuation a été remplacée par un dénoûment d’environ quatre-vingts vers, d’après lequel l’amant « mène ses amours à fin ». La suite de Jean de Meun avait paru à l’auteur de ce dénoûment mal appropriée au poème de Guillaume. Ces deux manuscrits sont d’une date plus récente que la continuation de Jean de Meun. Il faudrait pour être certain que Guillaume n’a pas achevé son poème en trouver une copie antérieure à cette date ; cette copie n’a pas encore été signalée.

Valeur littéraire du poème de Guillaume. — La première partie du Roman de la Rose est un des ouvrages du moyen âge dont la lecture offre le plus d’attrait, l’auteur a travaillé sur un plan nettement et habilement conçu, et ne s’en est point écarté. Toutes les parties en sont proportionnées avec art et s’enchaînent naturellement. Guillaume a su éviter les dangers du genre faux que le goût de son époque lui a fait adopter. Les allégories, transparentes autant que gracieuses, n’ont rien de froid, de scolastique ; ses personnifications sont vivantes ; elles agissent et parlent conformément aux rôles qu’elles ont à remplir ; pas un instant l’action ni l’intérêt de cette « épopée psychologique » ne sont suspendus ou ralentis. L’auteur a plus d’une fois mis Ovide à contribution, mais toujours avec mesure et à propos, adaptant soigneusement ses imitations aux mœurs de l’époque. Les descriptions, qui abondent dans le poème, ont été souvent citées parmi les plus belles pages de notre vieille poésie. Celles du printemps, du matin, du verger, de la fontaine d’Amour sont en effet charmantes de naïveté, de grâce et de fraîcheur ; la peinture des « maux d’Amour » surtout est remarquable par le pittoresque, la finesse d’observation, la connaissance du cœur humain. Tous les critiques ont vanté les portraits qui ornent le mur extérieur du