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LE ROMAN DE LA ROSE

Le poème de Jean de Meun ayant tous les caractères d’une œuvre de jeunesse, on peut avec beaucoup de vraisemblance placer la naissance de l’auteur aux environs de l’an 1240.

Après le Roman de la Rose Jean de Meun fit surtout des traductions. En 1284 il traduisit le traité de Végèce, de Re militari, sous le titre de Chevalerie ; ensuite le livre des Merveilles d’Irlande de Giraud de Barri ; les Épîtres d’Abélard et Héloïse, le traité du moine anglais Aelred sur l’Amitié spirituelle et enfin la Consolation de Philosophie de Boèce. Des manuscrits du livre de Chevalerie, des Épîtres d’Abélard et Héloïse, de la Consolation de Philosophie nous ont été conservés, mais il ne nous en est parvenu aucun des Merveilles de l’Irlande ni de l’Amitié spirituelle[1], et nous ne connaîtrions pas ces deux traductions si Jean de Meun n’avait pris soin d’énumérer ses précédents travaux dans l’épître dédicatoire de sa traduction de Boèce. Cette épître, adressée à Philippe le Bel, se trouve en tête de deux traductions différentes de la Consolation, l’une en prose, l’autre en prose mêlée de vers, comme l’original. On n’a pas encore déterminé sûrement laquelle des deux est de Jean de Meun. Ses autres traductions sont toutes en prose.

On a encore du même auteur deux poèmes, qui sont sans doute ses dernières productions ; ils sont intitulés Testament et Codicille. Le Testament est composé d’environ 2200 vers de douze syllabes, divisés en quatrains monorimes. C’est une œuvre remarquable en beaucoup d’endroits par la justesse des idées, par la pureté de la langue, par la facture du vers. Jean, qui pendant toute sa carrière a travaillé la langue pour l’assouplir aux difficultés de ses traductions et pour lui faire exprimer des idées à la hauteur desquelles elle ne s’était jamais élevée, en est devenu le maître et la manie avec une aisance qu’aucun auteur du moyen âge n’a égalée. Ses alexandrins se suivent avec une facilité, une ampleur, une noblesse qu’on est surpris de rencontrer à cette époque, et qu’on admirerait davantage si ces qualités n’étaient parfois gâtées par les exigences de la rime très riche à laquelle le poète s’est astreint.

  1. Dans le catalogue des manuscrits du duc de Berry, dressé en 1424, figure : Halleret, des espirituelles amitiés. C’est évidemment la traduction de Jean de Meun.