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LES FABLES

sinon plus populaires que les originaux, qui ont donné naissance à leur tour à la plupart des fabliers français.

Avianus toutefois n’a pas été le modèle de prédilection de nos anciens poètes. Ce n’est pas que son modeste recueil de quarante-deux apologues ait été regardé comme inférieur à celui de Phèdre et traité avec moins d’honneur dans les écoles. Nul ne faisait alors de différence entre le style alerte et souvent agréable de l’affranchi de Tibère et la narration traînante et embarrassée de son émule. Loin de là, les fables d’Avianus n’ont point cessé d’être remaniées et imitées ; nous en possédons deux réductions en prose latine et deux abrégés, l’un en vers rythmiques, l’autre en vers léonins ; ajoutons à ce nombre quatre Novus Avianus et un Anti-Avianus. On peut donc s’étonner que le recueil n’ait point passé tout entier, dans la langue vulgaire. Il ne nous en est parvenu, en effet, qu’une seule traduction, et elle ne renferme que dix-huit fables. Ce délaissement s’explique, si l’on se rappelle que la plupart des apologues de ce poète traitent de sujets identiques à ceux de Phèdre. En outre, on avait pris l’habitude d’insérer au milieu des fables de ce dernier des fables d’Avianus : les deux auteurs, à la longue, ne faisaient plus qu’un. Cette traduction, qui date du début du xive siècle, porte le titre d’Avionnet, nom composé sur le modèle d’Isopet, terme adopté pour désigner les fables en général. Ce n’est pas, à proprement parler, une traduction, c’est une paraphrase qui semble faite non pas même d’après le texte latin, mais d’après une paraphrase latine de celui-ci. On peut s’en rendre compte par l’échantillon suivant qui donnera en même temps une idée de la manière de notre traducteur. C’est le Sapin qui parle au Buisson, comme dans La Fontaine le Chêne s’adresse au Roseau :

Que toi ; car ju… Je miex vaus
Que toi ; car jusques aus estelles
Estens mes branches et mes elles ;
Tant sui et grans et parcreüs,
Que de cent lieues sui veüs.
Quant sui en une nef en mer :
Tel arbre fait bien a amer.
Mes tu, es un nain acroupis,
Qui porte le menton ou pis,
Lait et sec et tout espineux,
Des autres li plus haineux :
De nul bien ne te pues venter :
Folie fu de toi planter[1].

  1. Je vaux mieux — que toi ; car jusques aux étoiles — j’étends mes branches et mes ailes ; — je suis si grand, si élancé, — que de cent lieues je suis vu, —