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des faits isolés ait été réduite, comme je l’ai indiqué plus haut, à des faits généraux et réguliers, par le travail de la philologie moderne, ces faits généraux sont encore en trop grand nombre pour que je puisse donner ici un aperçu, même superficiel, des lois, qu’on trouvera exposées ailleurs.

La nature même des altérations subies par les mots est très diverse.

a. Tantôt il y a eu simplement déplacement d’un son, comme dans singultum = sanglot, formaticum = fromage.

b. Tantôt, et c’est là bien entendu le cas le plus fréquent, il y a eu substitution d’un son à un autre, d’une voyelle à une autre voyelle : capra., la chèvre ; pigritia, la perece (paresse) ; d’une voyelle à une diphtongue ou inversement : me = mei (moi) audire = oïr (ouïr), — ou bien substitution d’une consonne à une autre consonne : rapam = la rave, pacare = payer, carrum = char ; orphaninum = orphelin.

Dans ce genre les transformations sont telles que des consonnes sont issues de voyelles, ou des voyelles de la réduction des consonnes. Le ch, qu’on entend encore aujourd’hui dans sache, vient de l’i de sapiam, et inversement l’i de nuit, fruit, du c contenu dans noctem, fructum.

c. Il est arrivé aussi et souvent, que des sons, voyelles ou consonnes, ont totalement disparu, tels le v de vivenda = viande, le c de lactuca = laitue, l’m, le premier i et l’u de dormitorium = dortoir.

d. Enfin les rencontres de consonnes ou de voyelles difficiles à prononcer ont amené l’introduction de sons nouveaux, et euphoniques, étrangers à la forme ancienne des mots : tenerum, laissant tomber le deuxième e, a dû admettre un d entre n et r et appuyer le nouveau groupe de consonnes ndr sur un e : d’où tendre. (Cf. frangere =fraindre) ; souvent plusieurs de ces changements ont atteint à la fois un même mot latin et l’ont rendu méconnaissable. Tels habeo, devenu ai ; aquam, eaue, eau[1] ; *quiritare, crier ; quaternum, cahier ; *coacticare, cacher ; *filicaria, fougère ; *catenionem, chignon ; *caveola, geôle ; *axile, essieu ; * captiare, chasser.

  1. Les mots marqués d’un astérisque sont ceux qui n’appartiennent pas au latin classique.