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LES ROMANS DU RENARD

connaître à fond les secrets de la renardie pour les déjouer au profit du bien et de la vertu.

C’est dans le cadre bien connu de la branche du Jugement que l’auteur a enchâssé la suite des événements. Après trois aventures qui rappellent seulement de loin celles de l’ancien Roman, mais qui sont pourtant dans la manière des premiers trouvères, nous sommes transportés dans un couvent de Jacobins. Renard demande à être admis dans leur ordre ; mais pendant que le chapitre délibère sur sa requête, Renard est allé à côté chez les Mineurs qui l’ont accueilli, eux, à bras ouverts. Les Jacobins le réclament, les mineurs refusent de le lâcher ; il les met d’accord en déclarant qu’il portera désormais une cotte mi-partie de Jacobin et de Mineur, et il reste un an au milieu d’eux, enseignant la façon de « se maintenir aux cours des comtes et rois ». Il se rend enfin au palais de Malrepair, se fait passer pour prieur des Jacobins de Saint-Ferri et annonce à Noble qu’il doit d’après les astres mourir prochainement, qu’il lui faut désigner son successeur. Grande frayeur du pauvre roi ; il se confesse, et, pressé habilement de questions par le faux Jacobin, il lui avoue que le seul digne de lui succéder, c’est Renard, le plus faux de ses barons, mais le plus subtil, le plus malin. Noble le prie alors de prêcher, et le voilà débitant un interminable sermon sur la pauvreté. Les auditeurs enthousiasmés veulent qu’il désigne lui-même le futur roi. Il se dérobe modestement et conseille de tenir parlement. Toute la cour est donc convoquée par les soins d’Isengrin ; chacun est présent, sauf naturellement Renart dont on ne peut arriver à découvrir la retraite. Erme (Hermeline), qui arrive avec son petit Renardiel dans les bras, dit au roi que son mari est entré dans les ordres, dès qu’il a appris la mort prochaine de son souverain, afin de se préparer lui-même à sa fin ; on pourra le trouver, ajoute-t-elle, à Saint-Ferri. Noble ordonne à Isengrin d’aller le quérir ; il refuse effrontément, ainsi que le léopard et le tigre. Le pauvre roi se désole sur l’abandon de ses sujets, sur l’impuissance où le met l’approche de la mort ; il exprime sa tristesse en termes si touchants que le hérisson a pitié de lui ; aidé du mouton, il se jette sur Isengrin, le terrasse aux applaudissements des barons qui tout à l’heure narguaient le