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familiers qu’à nous. Il ne connaît même pour ainsi dire pas la composition par apposition, qui a fourni tant de ressources aux vocabulaires techniques : saisie-arrêt, sabre-baïonnette sont des mots de structure moderne[1]. En outre, les composés issus d’un impératif qu’accompagne un régime direct ou indirect, un adverbe, un vocatif : chasse-neige, fainéant, boit-sans-soif, ville_brequin (vire-brequin), sont encore très peu nombreux au moyen âge[2]. Le procédé qui sert à les former apparaît dès le IXe siècle. Des noms latins comme Porta florem, Tenegaudia le prouvent ; mais, dans Roland, ce système ne donne encore qu’un nom commun : Passe-cerf, encore est-il appliqué à un cheval. Jusqu’au XIIIe siècle ce sont surtout des sobriquets qui se créent de la sorte, et qu’on donne aux personnes ou aux endroits[3] : Gile_Brise-miche, Pierre Engoule-vent, Perrin Gratte-pelle.

La dérivation. — Dès les origines, il est visible que la richesse du français comme des autres langues romanes consistera essentiellement dans la dérivation. Comme on sait, la dérivation est de deux espèces : propre, quand elle crée des mots par addition de préfixes ou de suffixes à un simple ; impropre, quand au contraire elle fait un mot du radical d’un autre, ou même sans rien changer à sa forme extérieure le fait passer à une autre fonction ; ainsi, quand de arrêter, elle tire arrêt, ou que du verbe dîner, elle crée le substantif le dîner, Le latin avait richement développé la dérivation propre ; la dérivation impropre lui était moins familière.

Dérivation impropre. — En français, au contraire, on ne saurait trop marquer l’importance de cette dérivation impropre ; elle est une des sources les plus fécondes et les plus pures du lexique. On peut s’en assurer, même à ne considérer qu’une espèce de mots, les substantifs. Tout d’abord on en a tiré du présent de l’indicatif, et, masculins ou féminins, ils sont parmi les plus beaux mots de la langue. Citons aboi, achat, appel,

  1. On peut citer quelques analogues : robe-linge, porc-épic, mais ces exemples sont rares.
  2. J’adopte ici la théorie de Damiesteter quant à l’impératif qui entre dans ces composés, en ajoutant toutefois que la langue actuelle n’a gardé aucun sentiment de ce mode et qu’elle considère le verbe comme étant à l’indicatif présent.
  3. On trouve cependant au moyen âge garderobe, baisemain, coupegorge, papetard, portechape etc.