Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 2, 1896.djvu/521

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et se soit assez répandu pour passer dans la langue populaire, comme le font aujourd’hui icule, ible, extra ou archi. Et c’est là, on ne saurait trop y insister, un contraste absolu avec ce qui se passe de nos jours.

Étendue et richesse de l’ancien lexique. — Quelques-uns attendront peut-être ici, en manière de conclusion, des statistiques précises donnant sous la forme rapide de quelques chiffres une idée exacte de l’écart qui existe entre le français ancien et moderne. Cette statistique n’est pas faite, et je doute fort que personne l’entreprenne, car les bases manquent.

Les mots de l’ancien français qui n’existent plus, et qui ne se sont pas conservés avec leur sens ancien, ont, il est vrai, été recueillis par M. Godefroy dans son Dictionnaire de l’ancienne langue. En y joignant d’autre part les mots dont Littré ou le Dictionnaire général de Darmesteter, Hatzfeld et Thomas ont trouvé des exemples pour le moyen âge, on aurait, semble-t-il, les données nécessaires pour compter d’une part ce qui a péri depuis le XVe siècle, de l’autre ce qui a été introduit dans la langue.

En fait, quoique le recueil de M. Godefroy ait été fait avec un zèle et une patience qui le placent parmi les grands travaux de l’érudition française, des comparaisons ne sauraient être instituées sur les indications qu’il fournit. D’abord il faudrait pouvoir démêler avec assurance dans tout cela la part des différents dialectes, qui tous ont fourni leur contingent de mots à la vaste enquête de cet érudit, et pouvoir y trier ce qui est français et ce qui ne l’est point. Et c’est là non seulement un travail rebutant, mais jusqu’ici impossible, puisqu’un mot ne saurait être considéré comme étranger au français, sous prétexte que M. Godefroy ne l’a rencontré que dans des textes dialectaux. Quelque immenses qu’aient été ses dépouillements, ils n’autorisent pas une pareille conclusion. Les mêmes distinctions seraient à faire par époques. On ne peut opposer au français contemporain le vocabulaire du XIe au XIVe siècle pris en bloc, alors qu’en réalité tous les mots n’en ont pas coexisté. Donc des dénombrements, même généraux, faits dans ces conditions, ne pourraient conduire qu’à des conclusions fausses[1].

  1. Je citerai à titre de curiosité un travail partiel que j’ai fait des mots enregistrés depuis fa jusqu’à faitière, en comptant d’après Godefroy, Littré et le