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III. — Le français à l’étranger.


Coup d’œil général. — On a souvent cité, pour montrer le prestige de notre langue au moyen âge, la phrase de Brunetto Latini : « Et se aucuns demandoit por quoi cist livres est escriz en romans, selonc le langage des François, puisque nos somes Ytaliens, je diroie que ce est por ij. raisons : l’une, car nos somes en France ; et l’autre porce que la parleure est plus delitable et plus commune à toutes gens[1] ». Son continuateur, Martino da Canale, a répété à peu près dans les mêmes termes que « la langue francese coroit parmi le monde », et était « plus delitable à lire et à oïr que nulle autre[2]. » Rusticien de Pise, sans être aussi explicite sur les motifs de son choix, manifeste aussi la même préférence, et c’est en français qu’il faisait des Romans de la Table Ronde des extraits qui devaient être traduits en italien. C’est aussi en français que, en 1298, dans une prison génoise, Marco Polo lui dictait le récit de ses grands voyages en Tartarie et en Chine. De pareils exemples, qu’on ne retrouvera guère avant le XVIIIe siècle, sont assez significatifs ; il est certain qu’en Italie, avant que Dante eut à la fois créé et illustré à jamais l’italien littéraire, nul homme cultivé n’eût osé comparer le vulgaire de la Péninsule au roman de France[3].

En Angleterre, même à l’époque où l’anglais commença à redevenir la langue nationale, le français ne cessa nullement d’être aimé et cultivé. Un des maîtres anglais qui l’enseignaient alors en parle même avec des éloges dont l’excès n’altère pas la sincérité, l’appelant « le doulz françois, qu’est la plus bel et la plus gracious language et plus noble parler, après latin d’escole, qui soit ou monde et de tous gens mieulx prisée et amee que

  1. Li livres dou Tresor, éd. Chabaille, p. 3.
  2. Cité dans l’Hist. litt, de la Fr., XXIII, 463.
  3. Dante lui-même considère que Chrestien de Troyes a donné à la langue française le premier rang pour la poésie narrative. Il y a, comme on sait, toute une littérature gallo-italienne que M. W. Meyer (Zeitschr. fur romanische Philologie, IX, 597 et X, 22), a commencé à étudier. On verra là d’autres exemples d’italiens écrivant en français. L’un traduit en notre langue le De regimine principum, un autre Boëce, etc.