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et dans Florimont cite des mots grecs, ou même des phrases qu’il traduit assez volontiers, par exemple :

Il crient tuit : « Ma to theo
Calo tuto vasileo. »
Ice well dire en françois :
Si maïst Diex, bons est cis rois.[1]


Mais tant d’érudition n’était pas commune, et le nombre des mots grecs qui sont venus à cette époque soit directement, soit indirectement, par l’italien et le bas-latin, est peu considérable. Quelques-uns se sont éteints avec le vieux français : mangonneau, molequin (étoffe mauve), filatière (reliquaire), estoire (flotte). D’autre sont arrivés au français moderne canapé, (κωνωπεῖον), carquois (ταρκάσιον, mot d’origine persane), endive (bysantin ἔνδιϐον), falot (φανὸς), diamant (διάμαντε), galetas, braquemart, (βραχεῖα μάχαιρα), chiourme (κέλευσμα, par l’ital. ciurma), qui se trouve dans le Templ. de Tyr p. 275 ; page (παίδιον, ital. paggio)[2] ?

Mais en somme, le contact, même prolongé des Francs et des Grecs, n’a eu sur le langage des uns et des autres qu’une influence éphémère et superficielle[3]. Notre langue n’a gardé de ces grands événements que la gloire d’avoir été portée au loin, sur les rivages les plus célèbres de l’histoire du monde.

Le français en Angleterre. — La bataille d’Hastings (14 oct. 1066) et la prise de possession de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant eut de tout autres conséquences linguistiques que la conquête éphémère de Jérusalem ou de Constantinople. Longtemps on put croire que la langue comme la dynastie normande était définitivement établie au delà du détroit.

  1. Ils crient tous : Μὰ τὸ Θεὸ καλὸ τοῦτο βασιλεό ; cela veut dire en français : Par Dieu, bon est ce roi. Je cite le texte restitué par M. P. Meyer (Bibl. de l’École de chartes, 1866, 333), auquel je renvoie pour d’autres exemples. (Cf. Recueil des Hist. des Crois., V. 1. Anon. littorensem, p. 287.)
  2. Il faudrait ajouter que pas mal de mots grecs ont d’abord passé en arabe, d’où ils nous sont arrivés ensuite par des chemins détournés : ζεφύρος (zéro, chiffre), ξήρον (élixir), τέλεσμα (talisman), καλόπους (calibre, gabarit) ἄμϐιξ, (alambic). Certains ont gardé une forme hybride : alchimie, de l’article arabe al et du bas grec χυμία.
  3. Plus tard le grec vulgaire a encore donné par l’intermédiaire d’autres langues quelques termes : boutique, gr. cl. ἀποθηκή, bas grec boteki), émeri (v. fr. esmeril, ital. smeriglio, gr. σμύρι, Naxos σμερι), estradiot (it. stradiotto στρατιώτης).