Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 2, 1896.djvu/558

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Il eut ainsi à peu près les mêmes avantages que le latin avait eus en Gaule. Et il importe d’ajouter, pour bien montrer les conditions de la lutte, qu’il puisait dans le voisinage de la France de nouveaux appuis. D’abord l’expédition de Guillaume n’avait pas été un coup de main d’heureux aventuriers que la mer avait apportés un matin et que la masse indigène devait peu à peu absorber. D’autres immigrants, non seulement des Normands, mais des Angevins, des Picards, et aussi des Français de France vinrent à leur suite, et l’infiltration ne cessa pas de longtemps. D’autre part les relations des vainqueurs avec le continent demeuraient très étroites, la France restant le centre des intérêts, et aussi l’objet des rêves des nouveaux maîtres de l’Angleterre. L’histoire le montra bien. Vivants, ils pensaient à la conquérir, morts il voulaient y reposer, dans leurs terres de Normandie ou d’Anjou. C’est en 1272 seulement que Westminster s’ouvrit pour eux, bien plus tard encore qu’ils se résignèrent à abandonner leurs domaines continentaux.

Aussi dès le milieu du XIIe siècle l’anglais semble à peu près éteint comme langue littéraire ; en 1154 les vieilles annales de Peterborough ne trouvent plus de continuateurs ; à peine si la langue indigène sert encore à quelques productions toutes populaires. Seul, vers 1205, un prêtre de Arley, Layamon, l’emploie à écrire sur l’histoire d’Angleterre (d’après des sources françaises), et son exemple fut si peu suivi qu’il eut longtemps, comme on l’a dit, plutôt l’air d’un revenant que d’un précurseur. L’éclipse se prolongea, à peu près complète jusqu’au milieu du XIIIe siècle ; des légendes de saints, un recueil d’homélies en vers, un traité en prose d’ascétisme (The Ancren Riwle), le Poema morale, une chronique fabuleuse en vers, tout à la fin de la période une traduction du Psautier, voilà à peu près toutes les œuvres anglaises qu’on peut mettre en regard de l’immense littérature française éclose dans les nouveaux domaines des Normands, dont il a été question dans tous les chapitres de ce volume, et dont une partie au moins est due à des Anglais de naissance.

Il ne peut entrer dans mon dessein d’esquisser l’histoire interne de ce français porté en Angleterre ; issu du normand, mais influencé par ses relations avec le français littéraire, altéré