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LES FABLES ET LE ROMAN DU RENARD

faux frère Jonas, entre dans une violente colère et ordonne un second assaut. Dans le premier, Gelée nous avait montré les animaux combattant comme de vrais chevaliers, avec échelles, beffrois, balistes, feu grégeois. Ici, avec une variété d’exposition qui ne manque point de charme, il nous les représente luttant avec leurs armes naturelles : le chat et le singe grimpent aux murailles, le bélier bat le rempart de ses cornes, le porc et le sanglier fouillent la terre, le griffon et l’autruche saisissent les assiégés au vol, l’agace et le perroquet les étourdissent de leurs cris ; l’âne, le taureau et le chien les épouvantent chacun à sa façon par le son de leur voix. Rien n’y fait : le roi est forcé de battre en retraite. Il n’a bientôt plus d’argent pour payer ses troupes, et la plupart de ses soldats passent dans le camp de Renard dont le trésor est sans fond et la générosité inépuisable. Mais, au moment d’en venir une troisième fois aux mains, Renard prend le parti de rentrer en grâce auprès du roi, se disant que celui-ci sera son obligé, lui accordera toutes les faveurs, et même peut-être sa succession. Il va donc au camp de Noblon, s’agenouille à ses pieds, et Noblon attendri veut aussitôt, malgré ses hypocrites refus, le nommer commandeur du palais. Les portes de Maupertuis sont ouvertes : Isengrin qui avait fui par peur de Renard est ramené de force et donne le baiser de paix à son ennemi. Une fête célèbre cette double réconciliation : toute la cour est conviée à un bal où nous voyons « caroler », en chantant toutes sortes de refrains, Renard avec la reine et Hersent, Noblon avec Harouge la luparde, Chantecler avec ses poules, le singe avec la renarde.

La seconde partie de Renard le Nouveau justifie plus ce titre que la première. Avec elle nous nous éloignons presque complètement de l’ancienne donnée. Çà et là Gelée y revient, mais avec une insigne maladresse : au milieu d’événements où les personnages n’ont des bêtes que le nom, il insère brusquement des épisodes où ceux-ci semblent reprendre leur vraie nature. Ainsi Renard enlève à Chantecler un de ses fils et le dévore ; il pénètre dans une maison avec Tibert qu’il met habilement aux prises avec un paysan pendant que lui s’enfuit avec un oison cuit, qu’ils devaient se partager ; il fait le mort pour s’emparer du héron que portait un frère convers ; mais,