Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 2, 1896.djvu/560

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du roman, pour compromettre l’avenir de la langue dans le pays. Elles étaient bien plutôt un signe de sa large diffusion. On a dit que vers la fin du XIIIe siècle deux gros événements politiques étaient venus changer la position réciproque des deux langues anglaise et française. D’abord, observe-t-on, sous le règne de Jean (1189-1216) l’Angleterre commença d’échapper à la domination absolue, et la bourgeoisie anglaise prenant dans le royaume une place plus grande, l’idiome que parlait une grande partie de ses membres ne put que profiter de ses progrès. Un peu plus tard, en 1205, Philippe-Auguste, en confisquant la Normandie et l’Anjou, brisa la chaîne qui liait la colonie anglo-normande à la France, ou tout au moins changea complètement la nature de ses rapports avec elle. Il était impossible que le français ne perdît pas quelque chose à ces événements.

Mais c’est je crois, exagérer singulièrement que de se fonder sur ces observations, quelque justes qu’elles soient, pour prétendre, comme l’a fait Scheibner[1], qu’à partir de ce moment commença une nouvelle période de la vie du français en Angleterre, qu’il cessa dès lors d’y être la langue maternelle d’une partie de la population, et fut réduit à la situation d’une langue étrangère, dont la culture ne s’entretenait plus que par une sorte de gallomanie, fille de la tradition et de la mode. J’ai déjà dit, à propos d’autres événements, que ces divisions brusques me paraissaient mal correspondre à la lente évolution des faits. Il est certain que la perte de la Normandie fit faire un grand pas à l’assimilation des vainqueurs et des vaincus, depuis longtemps commencée. Mais il fallut encore la guerre avec la France pour amener la fusion. Et, dès lors, s’il fallut Crécy pour qu’il n’y eût plus que des Anglais, on ne voit pas pourquoi, longtemps auparavant, la langue anglaise fût devenue l’organe d’une nationalité qui n’existait pas encore.

Du reste les témoignages que l’on peut recueillir ne s’accordent pas avec cette manière de voir. Le célèbre évêque de Lincoln, Robert Grosseteste, ne compte encore de son temps que deux langues, le latin pour les clercs, le français pour les ignorants. À la fin du XIIIe siècle, Robert de Gloucester se plaint

  1. Programme d’Annaberg, 1885.