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là, la plupart de ces suffixes purement latins étant sinon inouïs, du moins rares, étaient restés fichés aux quelques mots avec lesquels ils étaient passés. Au contraire, attachés depuis lors à un nombre assez grand de vocables, ils étaient appelés à devenir familiers et féconds, c’est-à-dire à se détacher des mots qui les portaient pour servir d’éléments de formation, d’abord à une langue à demi savante, puis peu à peu à la langue populaire elle-même. Là était la grande nouveauté et le vrai péril[1].

Encore cet aperçu serait-il bien incomplet, si je ne parlais que des mots. La grammaire elle-même, particulièrement la syntaxe a été atteinte, en ce sens au moins que certains tours se sont développés, semble-t-il, surtout en raison des exemples que le latin en fournissait. Ainsi, il serait absurde de prétendre que le pronom lequel, devenu relatif, d’interrogatif qu’il a été primitivement, est de provenance latine, alors qu’il est de formation toute française. On peut du moins soutenir avec beaucoup de vraisemblance qu’il doit en partie la faveur dont il a joui en moyen français à l’influence du latin, où les propositions relatives jouent un rôle si considérable. Je crois incontestable qu’en vieux français on en rencontrait beaucoup moins, et surtout moins souvent de compliquées. Quant Gerson écrit : « Nostre Seigneur a qui désobéir est crime, de sa majesté nous le commande » et qu’avant lui Bersuire dit : Auquel lieu comme il regardait la région, tous deux calquent le latin, et bien entendu le pronom lequel, instrument nécessaire de pareilles constructions, profite de l’introduction de ces nouveautés dans le style.

J’en dirai autant des constructions absolues du participe. Elles ont existé de tout temps dans la langue, mais sans y être fréquentes et libres, comme elles sont chez Bersuire, qui commencera une phrase par : épiées les voies, ou : sceue la vérité, ou encore : jointes les dextres et laissée la concion. Il ne serait pas difficile de relever un certain nombre de faits analogues, si l’idée que je présente avait besoin de démonstration. Mais quand on examine dans leur ensemble même, les phrases lourdes, et si souvent compliquées des prosateurs du XIVe siècle,

  1. La même observation s’applique à des préfixes comme in. Qu’on parcoure dans le diclionnaire de Littré l’historique des mots commençant par ce préfixe, on verra quel développement il a pris progressivement.