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LES ROMANS DU RENARD

mythologue, moraliste, historien, géographe, homme d’État, économiste, médecin, astronome, astrologue. Il a réponse à tout ; il n’est point de difficulté qu’il ne résolve, et sa science n’est jamais prise en défaut. Les autres animaux ne sont ni moins gonflés de science, ni moins discoureurs. Comme leur chef de file, ils ont suivi les cours de la Faculté des Arts, et tiennent à nous le prouver. Ils donnent la réplique au goupil en faisant avec lui assaut de citations et d’habileté dialectique. Les uns et les autres apparaissent mainte et mainte fois sur leur théâtre habituel ; on les revoit dans les scènes du plaid, du pèlerinage ; Renard a encore affaire ici avec le coq Chantecler, le corbeau Tiécelin, le grillon Frobert ; Isengrin avec la jument. Ces versions nouvelles des antiques histoires sont même précieuses pour nous, parce qu’elles renferment souvent des traits plus archaïques que ceux des branches les plus anciennes du Roman de Renard. En outre, Renard le Contrefait possède des récits que n’ont point conservés ces branches, mais qui ont dû exister dans la période primitive du cycle, puisqu’on les retrouve dans les imitations étrangères. Mais le poète n’a apporté aucun soin à la rédaction de ces histoires, et il s’en est servi uniquement, comme je l’ai déjà dit, pour motiver ses dissertations. Renard comparaît à deux reprises à la cour ; mais la première fois, c’est pour parler de la médecine depuis ses origines et conter une histoire du monde se déroulant à partir de la création jusqu’au règne de Philippe le Bel ; la seconde fois, c’est pour expulser, de concert avec les barons de Noble, tous les pauvres et ériger le pillage en système. Hermeline et ses enfants crient-ils famine à ses oreilles ? Il leur sert pour toute nourriture un sermon édifiant contre la richesse, agrémenté des histoires d’Icare et de Virgile le magicien et du conte du Psautier. Se confesse-t-il à Hubert le Milan ? Avant de le dévorer, comme dans une des branches de l’ancien Roman, il s’engage avec lui dans une discussion filandreuse sur les sept péchés capitaux, entremêlée d’observations sur les sept arts, sur le paradis, sur l’enfer, sur les astres, sur les dimensions du monde, sur l’institution de la noblesse, l’origine du servage, etc., et aussi d’anecdotes locales. L’épilogue du pèlerinage de Renard en compagnie du cerf Brichemer et de l’âne Timer est une