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CHAPITRE II

LES FABLIAUX[1]


Définition et dénombrement des fabliaux. — Dans l’usage général de la langue moderne, fabliau se dit communément de toute légende du moyen âge, gracieuse ou terrible, fantastique, plaisante ou sentimentale. Michelet, par exemple, et Taine lui attribuent cette très générale acception. Cet abus du mot est ancien, puisqu’il remonte à l’un des premiers médiévistes, au Président Claude Fauchet, qui écrivait en 1581. Depuis, les éditeurs successifs des poèmes du moyen âge l’ont accrédité. Barbazan en 1756, Legrand d’Aussy en 1779 et en 1789, Méon en 1808 et 1823, Jubinal en 1839 et 1842 ont réuni sous ce même titre générique de Fabliaux les poèmes les plus hétéroclites, lais, petits romans d’aventure, légendes pieuses, chroniques rimées, dits moraux.

À vrai dire, cette erreur semble autorisée par les trouvères eux-mêmes, qui ont fait parfois du mot un usage indiscret et vague : phénomène trop naturel en un temps qui ne se souciait guère de composer des poétiques et qui ne disposait que d’un choix de termes assez restreint — fable, lai, dit, roman, fabliau, miracle — pour désigner de nombreuses variétés de poèmes narratifs. De plus, tous ces genres se développent soudain, concurremment, vers le milieu du xiie siècle. Ils germent pêle-mêle, s’organisent, puis se différencient; mais,

  1. Par M. Joseph Bédier, docteur ès lettres, maître de conférences à l’École normale supérieure.