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LES FABLIAUX

… Car par biaus diz est obliée
Maintes fois ire et cuisançons…
Et quant aucuns dit les risées,
Les forts tançons sont obliées.

Mais l’intention morale ne vient jamais que par surcroît. Pour instruire, nos poètes n’ont-ils pas les dits moraux qu’ils distinguent très soigneusement des fabliaux ? Ici leurs visées morales sont très humbles. Ils n’ont guère d’intentions réformatrices. Le principal, c’est de rire. Les fabliaux ne sont que « risée et gabet ».

Mais les sources du rire sont singulièrement diverses selon les hommes. De quoi riait-on au xiiie siècle ?

D’abord, on riait de peu. Ce rire était facile, médiocrement exigeant. Ferons-nous à tels de ces fabliaux[1] l’honneur de les compter pour des œuvres littéraires ? Ce sont de médiocres historiettes puériles, des imitations de baragouins exotiques, des calembours, des gausseries de paysans. Ce sont bien là les fabellæ ignobilium. Négligeons ces fabliaux simplistes, non sans retenir ce premier trait commun à tous nos contes : les sources du comique y sont étrangement superficielles.

Considérons des contes plus caractéristiques. L’esprit des fabliaux s’y révèle d’abord par la bonne humeur. Seule, railleuse et inoffensive, elle fait les frais de maintes de ces plaisantes drôleries : le Prêtre aux mûres, le dit des Perdrix, le Convoiteux et l’Envieux, le Prêtre qui dit la passion. Un prêtre chante l’office du vendredi saint ; mais il a beau feuilleter son livre, il a perdu ses signets. Il s’embrouille, ne peut retrouver l’évangile de la Passion. Que faire ? les vilains ont faim ; le prêtre veut-il à plaisir prolonger leur jeûne ? Ils s’impatientent. Bravement, à tout hasard, il bredouille les vêpres du dimanche : Dixit Dominus domino meo…, se démenant de son mieux, pour que l’offrande soit fructueuse. De loin en loin, des bribes de l’évangile cherché lui reviennent à la mémoire ; alors, il les lance à tue-tête : Barrabas ! clame-t-il, aussi fort qu’un crieur qui crie un ban… et les vilains, émus, battent leur coulpe. Puis

  1. Tels sont : la Male Honte, la Vieille qui oint la palme au chevalier, Estula, Barat, Travers et Haimet, les deux Chevaux, la Plenté, les deux Anglais, la Dame qui conquie son baron, Brunain, la Vache au prestre.