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[1201] de la conqueste

faction de leur octroyer leur requeste, et promis de les assister au recouvrement de la Terre Sainte. »

17. Là-dessus les six deputez s’estans prosternez en terre et pleurans à chaudes larmes, le Duc et tout le peuple s’écriérent tous d’une voix, en levant les mains en haut : « Nous l’accordons, nous l’accordons. » Puis s’éleva un bruit et un tintamarre si grand, qu’il sembloit que la terre deût abismer. Cette joyeuse et pitoyable acclamation appaisée, le Duc, qui estoit homme de grand jugement et de bon sens, monta au pupitre[1], et parla au peuple en cette sorte : « Seigneurs, voyez l’honneur que Dieu vous a fait, en ce que les plus vaillans hommes de la terre ont délaissé tous les autres peuples et potentats, pour chercher vostre compagnie à l’execution d’une si louable et sainte entreprise comme de retirer l’heritage de nostre Sauveur des mains des Infidelles. » Je ne pretens point vous raconter tout le discours du Duc en cette occasion, me contentant de dire que la finale résolution fut de passer les traitez dés le lendemain, et de dresser les chartes et patentes nécessaires à cét effet. Ce qu’ayant esté exécuté, châcun sceut que l’on iroit à Babylone en Égypte[2], parce qu’on pourroit par cét endroit, mieux que par nul autre, deffaire et détruire les Turcs. Cependant il fut arresté que du jour de la feste de sainct Jean prochain en un an, qui seroit l’an m. ccii, les barons

  1. Monta au pupitre : Dans l’église Saint Marc il y avoit deux pupitres, l’un à droite, l’autre à gauche. Le Doge montoit au premier lorsqu’il vouloit haranguer le peuple ; le second étoit destiné aux prédicateurs.
  2. Babylone en Égypte : On appeloit de ce nom une ville dont les ruines sont près du Caire.