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[1202] de la conqueste

« Nous vous conjurons au nom de Dieu de le vouloir faire, et de venir avec nous. »

34. À la vérité tout le peuple et les pelerins furent attendris de compassion, et ne se pûrent empécher de pleurer à chaudes larmes, quand ils virent ce bon vieillard qui avoit tant de raison de demeurer au logis en repos, tant pour son grand âge que pource qu’il avoit perdu la veuë[1] (laquelle luy restoit neantmoins fort belle) par une playe qu’il avoit receu en la teste, d’estre encore d’une telle vigueur, et faire paroistre tant de courage. Hà ! que peu luy ressembloient ceux qui, pour échapper un peu de peril et de mesaise, s’estoient adressez aux autres ports. Cela fait, il descendit du pupitre, et s’en alla devant l’autel où il se mit à genoux tout pleurant, et là on lui attacha la croix sur un grand chappeau de cotton, pour estre plus éminente, parce qu’il vouloit que tous la vissent. A son exemple les Venitiens commencérent à se croiser à l’envy les uns des autres, encore bien que le nombre n’en fut pas grand. D’autre part les François furent fort rejoüis de la résolution de ce Duc, et de le voir croisé comme eux, à cause de son grand sens et valeur : et deslors on commença à équipper les vaisseaux, et les departir aux barons pour se mettre en mer le mois de septembre approchant.

35. Dans ces entrefaites voicy arriver une grande merveille et une aventure inespérée, et la plus étrange dont on ait oüy parler. En ce temps il y avoit un

  1. Que pour ce qu’il avoit perdu la veuë : La version que nous avons adoptée dans la Notice diffère de celle de Ville-Hardouin ; nous l’avons puisée dans Sabellicus et Rhamnusio, historiens vénitiens qui devoient être plus instruits que le narrateur français.