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[1203] de la conqueste

grande affaire et la plus perilleuse que jamais on aye entrepris : c’est pourquoy j’estime qu’il y faut aller sagement et avec conduite ; car si nous nous abandonnons en la terre ferme, le pays estant large et spatieux, et nos gens ayans besoin de vivres, ils se répandront çà et là pour en recouvrer : et comme il y a grand nombre de peuple dans le plat pays, nous ne sçaurions si bien faire que nous ne perdions beaucoup de nos hommes, dont nous n’avons pas de besoin à present, veu le peu de gens qui nous reste pour ce que nous avons entrepris. Au surplus il y a des isles icy prés, que vous pouvez appercevoir, qui sont habitées et abondantes en bled et autres biens et commoditez : allons y prendre terre, et enlevons les bleds et les vivres du pays. Et quand nous aurons fait nos provisions, et que nous les aurons mises dans nos vaisseaux, alors nous irons camper devant la ville, et ferons ce que Dieu nous inspirera ; car sans doute ceux qui sont ainsi pourveus de vivres font la guerre plus seurement que ceux qui n’en ont point. » Tous les comtes et barons applaudirent à ce conseil, se remirent tous dans leurs vaisseaux, et y reposérent celle nuit : le lendemain matin, qui fut le jour de saint Jean Baptiste en juin, les banniéres et gonfanons[1] furent arborez és chasteaux de pouppe et aux hauts des masts et des hunes ; et les escus des chevaliers furent rangez le long de la pallemente[2] pour servir comme de pa-

  1. Gonfanons : écharpes ou bandelettes terminées en pointe dont les chevaliers ornoient leurs lances.
  2. Pallemente : lieu où l’on tenoit le conseil.