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SUR VILLE-HARDOUIN

importans. S’étant établis au palais de Bucoléon, où ils furent reçus avec joie par les princesses Agnès et Marguerite, ils s’occupèrent des moyens de contenir une armée peu disciplinée, et de prévenir la ruine d’une ville immense, dont le désespoir pouvoit encore être funeste à ses vainqueurs. Étonnés de leur succès, ils osoient à peine en croire l’apparence, et quelque crainte se mêloit, malgré eux, au bonheur dont ils sembloient jouir. Ils auroient voulu empêcher le pillage, mais l’espoir dont ils avoient entretenu les soldats pendant tout le cours du siége, espoir qui, seul, avoit pu soutenir et ranimer leur courage, rendoit impossible cette mesure, aussi utile pour les vainqueurs que pour les vaincus. Ils cherchèrent du moins, avec le désir le plus sincère d’y parvenir, à diminuer, autant que possible pour les Grecs, les funestes effets de la licence qu’ils étoient obligés de tolérer.

Une ordonnance défendit, sous les peines les plus sévères, de se porter à des excès contre les habitans et d’outrager les femmes. Le pillage dut se faire avec ordre, et le butin dut être déposé dans trois églises désignées, pour être ensuite partagé également. Il fut prescrit de laisser ouvertes toutes les portes de la ville, et de n’apporter aucun empêchement à la fuite des vaincus. Malgré ces précautions le désordre fut affreux. Ces Croisés, qu’une religion sainte avoit appelés à la plus noble des entreprises, dont le désintéressement égaloit autrefois le courage, s’oublièrent entièrement : tant les circonstances imprévues où les hommes se trouvent placés ont d’influence sur eux, et peuvent changer leur caractère.