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SUR DU GUESCLIN.

gage, et feroit la même grace aux soldats de sa garnison, le menaçant que s’il refusoit d’obeïr, il les traiteroit tous comme ces Anglois qu’il voyoit renversez morts, et nager dans leur sang tout autour des fossez de sa place. Le gouverneur luy répondit que quand il luy donneroit dix mille marcs d’or, il ne seroit point capable de commettre une semblable lâcheté ; qu’il avoit une ville bien munie, bien fortifiée ; qu’il servoit un prince assez puissant pour luy envoyer du secours en cas de besoin ; que s’il luy rendoit les clefs de sa place, sans siege et sans assaut, il meriteroit que son maître le fit pendre comme un traître. Il le prit même à témoin de ce qu’il feroit luy même si le roy de France luy avoit confié la garde d’une ville aussi bien conditionnée que la sienne, revêtuë de bonnes murailles, bien pourveüe de bleds, de vin, de lards et de chairs salées, et toutte remplie d’une bonne garnison, composée de soldats les plus aguerris de sa nation. Bertrand s’appercevant que cet homme avoit des sentimens si nobles, avoüa de bonne foy que, s’il étoit à sa place, il ne se rendroit jamais qu’on n’eût pris d’assaut sa forteresse, ou du moins par un siege qui fut dans les formes, et le loüant de ce qu’il avoit le cœur si bien placé, luy promit de le laisser en repos, et de passer outre avec tous ses gens, à condition qu’il leur fourniroit des vivres pour un jour en payant. Cet homme, au lieu de le prendre au mot, et de s’estimer heureux d’en être quite à si bon marché, luy fit une reponse indiscrette et brutale, luy disant qu’il luy donneroit volontiers des vivres pour rien, s’il croyoit qu’en les mangeant, il en pût étrangler avec tous ses François qu’il menoit avec luy. Cette parole incivile et mal-