Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 1re série, tome 5.djvu/19

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
16
ANCIENS MÉMOIRES

contra par hasard une frégate qui devoit aller en Syrie. Pierre demanda de parler au pilote, qu’il pria très-humblement de luy vouloir sauver la vie, luy disant que s’il luy faisoit cette grace, il luy donneroit plus d’argent que ne valloient toutes les marchandises dont il avoit chargé son vaisseau. Le pilote voulut sçavoir quel étoit l’homme qui luy parloit : le plus malheureux, luy dit-il, qui fut jamais au monde, traînant partout ma mauvaise fortune. Cette réponse ne fit qu’augmenter la curiosité du personnage, qui ne voulut pas se payer de ces vagues paroles. Il le pressa de ne le pas tenir plus longtemps en suspens, luy témoignant qu’il avoit bien la mine d’être quelqu’un des fuyards qui s’échappoient de la derniere bataille. Pierre luy avoüa de bonne foy que sa conjecture étoit véritable, et qu’il avoit été si malheureux que tous ses gens l’avoient abandonné. Le pilote voulut absolument qu’il luy dît le nom qu’il portoit[1], ajoutant qu’il luy paroissoit homme à n’avoir pas toûjours eu les pieds dans un boisseau ; que le cheval sur lequel il étoit monté le faisoit bien voir.

Tandis que ce pauvre Roy cherchoit à gagner l’esprit du pilote, afin qu’il le reçût dans son vaisseau sans qu’il fût obligé de luy révéler ny son nom, ny sa condition, tout l’enigme fut démêlé par un juif natif de Seville, nommé Salomon, qui se presenta là pour s’embarquer avec les autres, et, regardant Pierre au visage, il le reconnut tout d’abord. Il commença par le maltraiter de paroles, l’appellant cruel, inhumain,

  1. Lors dist à Piètre, « Comment vous appelle-on ? Il semble bien que vous n’aiez pas esté tousjours oyseux, car vous ayez bon cheval, et bien sentant l’esperon. » (Ménard, p. 338.)