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MÉMOIRES

représenté tant de fois sur ce sujet ; et je jouai si bien mon personnage, que l’on crut que j’étois absolument changé. Mon père se résolut de me mener en Bretagne, d’autant plus facilement que je n’en avois témoigné aucun désir. Nous trouvâmes mademoiselle de Retz à Beaupréau en Anjou. Je ne regardai l’aînée que comme ma sœur ; je considérai d’abord mademoiselle de Scepeaux (c’est ainsi qu’on appeloit la cadette) comme ma maîtresse. Je la trouvai très-belle, le teint du plus grand éclat du monde, des lis et des roses en abondance, les yeux admirables, la bouche très-belle, du défaut à la taille, mais peu remarquable, et qui étoit beaucoup couvert par la vue de quatre-vingt mille livres de rente, par l’espérance du duché de Beaupréau, et par mille chimères que je formois sur ces fondemens, qui étoient réels.

Je couvris très-bien mon jeu dans le commencement ; j’avois fait l’ecclésiastique et le dévot dans tout le voyage : je continuai dans le séjour. Je soupirois toutefois devant la belle ; elle s’en aperçut : je parlai ensuite, elle m’écouta, mais d’un air un peu sévère. Comme j’avois observé qu’elle aimoit extrêmement une vieille fille de chambre qui étoit sœur d’un de mes moines de Buzay, je n’oubliai rien pour la gagner, et j’y réussis par le moyen de cent pistoles, et par des promesses immenses que je lui fis. Elle mit dans l’esprit de sa maîtresse que l’on ne songeoit qu’à la faire religieuse, et je lui disois de mon côté que l’on ne pensoit qu’à me faire moine. Elle haïssoit cruellement sa sœur, parce qu’elle étoit beaucoup plus aimée de son père ; et je n’aimois pas trop mon frère[1] pour la

  1. Pierre de Gondy, duc de Retz, mort en 1676. (A. E.)