Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 2e série, tome 45.djvu/103

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
100
[1650] MÉMOIRES

La Rivière, dont il nous dit un détail qui en vérité faisoit horreur. « Cet homme croit, ajouta-t-il, que je suis la plus grosse bête du monde, et qu’il sera demain cardinal. J’ai eu le plaisir de lui faire aujourd’hui essayer des étoffes rouges qu’on m’a apportées d’Italie, et je les ai approchées de son visage, pour voir ce qui y revenoit le mieux, ou de la couleur de feu, ou de l’incarnat. » J’ai su depuis à Rome que, quelque perfidie que La Rivière eût faite au cardinal, celui-ci n’étoit pas en reste. Le propre jour qu’il l’eut fait nommer par le Roi, il écrivit au cardinal Sachetti une lettre que j’ai vue, bien plus capable de jaunir le chapeau que de le rougir, s’il m’est permis de le dire. Cette lettre étoit toutefois pleine de tendresse pour lui : ce qui étoit le vrai moyen de le perdre auprès d’Innocent, qui haïssoit si fort le cardinal qu’il avoit même de l’horreur pour tous ses amis.

Dans la seconde conférence que nous eûmes en présence de la Reine, on agita fort les moyens de faire consentir Monsieur à la prison de messieurs les princes. La Reine disoit qu’il n’y auroit nulle peine ; mais le cardinal n’étoit pas si persuadé que la Reine des dispositions de Monsieur. Madame de Chevreuse se chargea de le sonder. Il avoit naturellement inclination pour elle ; elle s’en servit habilement : elle lui fit croire que la Reine ne pouvoit être emportée que par lui-même à une résolution de cette nature, bien que dans le fond elle fût mal satisfaite de M. le prince. Elle lui exagéra l’avantage que ce seroit de ramener au service du Roi une faction aussi puissante que celle de la Fronde ; elle lui marqua comme insensiblement le péril où l’on étoit tous les