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[1650] MÉMOIRES

et s’impatientant d’entendre assez souvent, à travers les acclamations accoutumées, des voix qui nous reprochoient notre union avec Mazarin, il dit assez brusquement à M. Le Tellier qu’il ne concevoit pas pourquoi le cardinal avoit affecté de recevoir, comme il avoit fait, les députés du parlement de Paris ; et qu’il n’y avoit point de moyen plus sûr pour donner le parlement entier à M. le prince. Comme je craignois l’impétuosité de l’éloquence de M. de Beaufort, je voulus dire un mot pour la modérer ; et le garde des sceaux s’approchant alors de l’oreille du premier président, lui dit : « Voilà le bon et le mauvais soldat. » Ornano, maître[1] de la garde-robe de Monsieur, qui l’entendit, me le redit un quart-d’heure après.

Le reste de la soirée ne raccommoda pas ce qu’il sembloit que la fortune prît plaisir à gâter. On parla de la lettre de l’archiduc, sur laquelle le premier président prononça hardiment, et avant même qu’on lui eût demandé son avis. « Il la faut prendre pour bonne, dit-il, si par hasard elle l’est. Si elle ne l’est pas, il est important d’en faire connoître l’artifice aux Français et aux étrangers. » Vous avouerez qu’un homme de bien et sage ne pouvoit pas être d’un autre avis ; mais le garde des sceaux le combattit avec une force qui passa jusqu’à la brutalité, et soutint qu’il étoit du respect dû à la souveraineté de n’y point faire de réponse, et de renvoyer tout à la Reine. Le Tellier, qui connoissoit comme nous que si on prenoit ce parti on donneroit lieu aux partisans de M. le prince de re-

  1. Joseph-Charles d’Ornano, fils d’Alphonse Corse d’Ornano, maréchal de France. Joseph-Charles, maître de la garde-robe de Gaston, duc d’Orléans, mourut en 1670 âgé de soixante-dix-huit. (A. E.)