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[1650] MÉMOIRES

M. le cardinal, que dans la suite nous sûmes qu’il fut transporté de joie quand il trouva à Fontainebleau que Monsieur n’en étoit pas si éloigné qu’il le pensoit, et que sa joie éclata même jusqu’au ridicule quand on lui manda de Paris que les frondeurs étoient au désespoir de cette translation : car nous la jouâmes très-bien, nous l’ornâmes de toutes les couleurs et l’on vit, deux jours après, une estampe sur le Pont-Neuf, et dans les boutiques des graveurs, qui représentoit le comte d’Harcourt armé de toutes pièces, menant en triomphe M. le prince. Vous ne sauriez croire l’effet que fit cette estampe, et la commisération qu’elle excita parmi le peuple. Nous tirâmes cependant Monsieur du pair, parce que, du moment qu’il fut revenu de Fontainebleau, nous publiâmes qu’il avoit fait tous ses efforts pour empêcher la translation et qu’il n’y avoit donné les mains à la fin que parce qu’il ne se croyoit pas lui-même en sûreté. Il faut avouer qu’on ne peut pas mieux jouer son personnage qu’il le joua à Fontainebleau. Il n’y fit pas une démarche qui ne fût digne d’un fils de France ; il n’y dit pas une parole qui en dégénérât ; il y parla fermement, sagement, honnêtement. Il n’oublia rien pour faire sentir la vérité à la Reine, et pour la faire connoître au cardinal et quand il vit qu’il étoit tombé dans un sens réprouvé il se tira d’affaire habilement. Il revint à Paris, et me dit ces mots « Madame de Chevreuse a été repoussée sur la barrière à votre sujet, et le cardinal m’a traité sur le même article du haut en bas, comme sur tous les autres. J’en suis ravi ; le misérable nous auroit amusés, et fait périr tous avec lui : il n’est bon qu’à pendre. »