Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 2e série, tome 45.djvu/455

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M. le cardinal Mazarin. Quand il ne fut plus en son pouvoir de se tromper soi-même, il crut que l’unique remède seroit d’embarrasser la Reine sans la désespérer ; et je remarquai en cette occasion ce que j’ai encore observé en plusieurs autres, qui est que les hommes ont une pente merveilleuse à s’imaginer qu’ils amuseront les autres par les mêmes moyens par lesquels ils sentent eux-mêmes qu’ils peuvent être amusés. Monsieur n’agissoit jamais que quand il étoit pressé, et Fremond l’appeloit l’interlocutoire incarné. De tous les moyens que l’on pouvoit prendre pour le presser, le plus efficace et le plus infaillible étoit celui de la peur ; et il se sentoit, par la règle des contraires, une pente naturelle à ne point agir quand il n’avoit point de frayeur. Le même tempérament qui produit cette inclination fait celle que l’on a à ne se point résoudre, jusqu’à ce que l’on se trouve embarrassé. Il jugea de la Reine par lui-même ; et je me souviens qu’un jour je lui représentois qu’il étoit judicieux et même nécessaire de changer de conduite selon la différence des esprits auxquels on avoit affaire, et qu’il me répondit ces propres mots : « Abus ! Tout le monde pense également ; mais il y a des gens qui cachent mieux leurs pensées les uns que les autres. » La première réflexion que je fis sur ces paroles fut que la plus grande imperfection des hommes est la complaisance qu’ils trouvent à se persuader que les autres ne sont pas exempts des défauts qu’ils se reconnoissent à eux-mêmes. Monsieur se trompa en cette rencontre encore plus qu’en aucune autre : car la hardiesse de la Reine fit qu’elle n’eut pas besoin du désespoir où Monsieur ne la vouloit pas