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[1649] MÉMOIRES

priai à mon tour de se ressouvenir de ce que j’avois mis à la fin de cette même Vie : qu’il est toujours judicieux de ne se servir qu’avec d’extrêmes précautions de cette licence, parce qu’il n’y a que le succès qui la justifie. Et qui peut répondre du succès ? Je ne fus pas écouté, bien qu’il semblât que Dieu m’eût inspiré ces paroles, comme vous le verrez par l’événement. Il fut donc résolu qu’un gentilhomme qui étoit à Noirmoutier tireroit un coup de pistolet dans le carrosse de Joly, que vous avez vu depuis à moi, et qui étoit un des syndics des rentiers ; que Joly se feroit une égratignure, pour faire croire qu’il étoit blessé ; qu’il se mettroit au lit, et qu’il donneroit sa requête au parlement. Cette résolution me donna une telle inquiétude que je ne fermai pas l’œil de toute la nuit, et que je dis le lendemain matin au président de Bellièvre ces deux vers du fameux Corneille[1] :

Je rends grâces aux Dieux de n’être point Romain,
Pour conserver encor quelque chose d’humain.

Le maréchal de La Mothe en eut autant d’aversion que moi. Enfin elle s’exécuta le 11 décembre 1649, et la fortune ne manqua pas d’y jeter le plus cruel de tous les incidens. Le marquis de La Boulaye, soit de sa propre folie, soit de concert avec le cardinal, voyant que sur l’émotion causée dans la place Maubert par ce coup de pistolet, et sur la plainte du président Charton, l’un des syndics, qui s’imagina qu’on avoit pris Joly pour lui, se jeta comme un démoniaque (le parlement étant assemblé) au milieu de la salle

  1. Du fameux Corneille : Horace, acte II, scène 3.