Page:Petrone - Satyricon, trad. de langle, 1923.djvu/176

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« J’ai servi quarante ans, c’est entendu, mais dans quelles conditions ? Personne n’aurait pu dire si j’étais esclave ou libre. Quand je suis arrivé dans cette colonie je n’étais encore qu’un enfant bouclé : dans ce temps-là, la basilique n’existait pas encore. J’ai fait mon possible pour satisfaire mon maître. C’était un homme puissant et considérable dont le petit doigt valait plus que tout ce que tu peux valoir. Il ne manquait pas dans la maison de gens pour me faire pièce de-ci de-là ; mais, et mon bon génie en soit loué, j’ai surnagé. Et ce n’est pas une petite affaire : il n’est pas malin de naître libre ; il est moins facile de le devenir. Et maintenant te voilà bouche bée, comme le bouc devant Mercure. »

LVIII. OU C’EST AU TOUR DE GITON DE SE FAIRE CONSPUER

Sur ce beau discours, Giton, placé un peu plus bas, laissa fuser en éclats scandaleux un fou rire trop longtemps comprimé. Du coup, il détourna sur lui toute la colère de l’ennemi : « Et toi aussi tu ris, sale petite pie huppée ? Quelles saturnales ! Sommes-nous donc déjà en décembre ? Quand donc as-tu payé la taxe des affranchis ? Voyez un peu ce gibier de potence ! Va à tous les diables, viande à corbeau, toi et ton grand dadais de maître qui ne sait pas te faire taire. Que me passe le goût du pain si je ne t’épargne pas par égard pour notre hôte, mon vieux camarade : autrement il y a beau temps que je t’aurais sorti. Nous serions tous heureux et tranquilles ici, sans ton maître, ce réchappé de lupanar, qui te laisse faire. Rien d’étonnant : Tel maître, tel valet. Tiens, j’ai peine à me retenir. Tu sais que j’ai la tête un peu chaude et quand je suis parti je ne reconnaîtrais pas ma propre mère !