Page:Peyrebrune - Le Roman d un bas bleu 1892.djvu/12

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une affiche, ou un passe-partout pour d’autres ; un ridicule pour presque toutes et un calvaire pour le plus grand nombre : celles qui ont pris une plume pour se vider le cœur de quelque peine secrète ou bien parce qu’elles ne savaient aucun autre… métier, comme vous dites, pour gagner proprement leur vie.

— Vous avez dit : « Proprement ? »

— Certes ! Eh bien ?

— Rien. Vous prendrez ce dossier et vous le publierez, c’est un devoir. Il est des choses qu’il faut oser dire. Et qui l’oserait ? Un écrivain-femme, en possession d’une situation, péniblement acquise, craindrait de la perdre, car l’homme sait se venger ! Et lequel de nos confrères daignerait se pencher sur ce cas délicat — que tous méprisent — pour en tirer, par une analyse aidée de documents cruels, tout l’enseignement qu’il comporte ?

Vous voyez bien qu’il faut que ce soit un « bas-bleu », en train de mourir et n’ayant plus rien ni personne à redouter, qui prenne le courage de livrer le roman de sa propre vie, afin qu’il serve d’épouvante salutaire aux autres, à ces jeunes romanesques, encore hésitantes de la route à suivre, mais qui rêvent de talent, de gloire, de renommée, de fortune même, parce qu’elles ont une imagination et du style, du courage et pas beaucoup plus de vingt ans.

— Avez-vous donc tant souffert ?

— J’en meurs. Oh ! ne protestez pas. J’en mourrai, vous dis-je ! Et, tenez, je m’y engage ! Peut-être hésitez-vous à me dépouiller toute vive, page à page, et lambeau par lambeau, et à jeter au public ces morceaux brûlants de mon être encore tout frémissant de passion et de courroux ? Et vous pensez : « Quand elle ne sera plus, j’accomplirai son vœu. » Rassurez-vous donc