Page:Peyrebrune - Le Roman d un bas bleu 1892.djvu/142

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Il y eut un moment d’attendrissement grave ; Paul, à mes genoux, baisait fiévreusement mes mains ; Louise m’avait prise aux épaules et me caressait les cheveux, en me disant des mots câlins et doux, comme à une sœur aînée.

Nous étions tous très troublés et abandonnés aux paroles et aux gestes puérils, dans un accès de sentimentalité.

Mais cette impression ne pouvait être que passagère chez Louise.

Bientôt elle s’écria :

— Et le déjeuner ! Il sera froid, tant pis : on le mangera tout de même. Allons, Paul, conduis Sylvère…

Je me levai, engourdie de corps et d’âme, même endolorie de ma chute, et cependant légère aux premiers pas comme si j’avais perdu la moitié de ma pesanteur habituelle. Cet état, qui accompagne assez fréquemment mes excitations nerveuses, me donne une sensation que j’exprime par l’illusion bizarre d’être en baudruche.

Je trouvai, près de mon couvert, un bouquet de corsage semblable à celui qui fleurissait la boutonnière de Paul. Tout était prévu, jusqu’à ma défaite. On ne me donna même pas le temps de discuter, ni de préciser les termes de cette situation. Tranquillement, Paul avait pris possession de son rôle, comme si j’eusse été réellement veuve. On fit des projets, on parla de l’avenir. Louise laissa entrevoir la possibilité d’habiter, tous ensemble, un hôtel plus grand, plus éloigné du centre de Paris, avec un jardin vaste, pour mes promenades entre les heures de travail.

Paul demandait mon avis. Il disait « nous ». Et il s’occupait de moi, à table, avec une sorte d’autorité charmante, à laquelle il me forçait plaisamment d’obéir.