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jules janin

Son premier feuilleton fut plus qu’un coup de théâtre ; ce fut un coup de tonnerre éclatant dans les régions jusqu’alors paisibles, uniformes, un peu monotones de la critique. Ce fut une irruption, une invasion, une révolution ; ce fut le feuilleton qui prit la place du théâtre, qui s’empara de la scène et devint lui-même le drame ou la comédie. Jusqu’alors la critique, humble servante de n’importe quelle œuvre, bonne ou mauvaise, se bornait à faire l’analyse de la pièce.
M. Janin cassa cette chaîne que ne pouvait porter un esprit indépendant, volontaire et prime-sautier comme le sien. Il changea tout cela ; il trouva et créa un genre, qui fut de ne pas faire l’analyse de ce qui n’en valait pas la peine, et, même en prenant pour point de départ le titre d’un méchant vaudeville ou d’un infime mélodrame, de lancer sur ses lecteurs éblouis le plus inattendu des feux d’artifice.
… Il était, quand il le fallait, un vrai critique, un critique aigu, acéré ; il avait un don supérieur de discernement, de triage ; il découvrait d’un coup d’œil ce qu’il fallait élaguer, ce qu’il fallait conserver ; il avait ce qu’on pourrait appeler un admirable diagnostic. Non-seulement il avait inventé un genre de critique, mais encore, comme pourraient l’attester de célèbres exemples, il a su trouver, découvrir des poètes, des acteurs, des actrices ; il a su les voir, les saluer à leur naissance, les soutenir dans les premiers pas difficiles, et c’était le plus grand de ses bonheurs que cette première protection donnée à des talents qui, sans lui peut-être, seraient restés inconnus ou se seraient ignorés eux-mêmes.