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D'UNE FEMME DU MONDE.

vie, vivent la joie et les jolies filles qui la donnent !

Ces paroles étranges, affreusement cyniques, me firent frémir.

— Une fin d’orgie, murmura Roger.

Ils passèrent : leurs chants et leurs éclats de rire se perdirent dans le lointain. Nous ne disions plus rien : une tristesse vague m’avait tout à coup envahie.

— Qu’avez-vous ? me demanda Roger.

je répondis :

— Leurs rires m’ont fait mal.

— Ils sonnent faux. Pauvres insensés ! Ils croient tenir le bonheur et c’est l’ennui qui les tient. Quand ils seront dégrisés, la honte et le regret de leur inutilité, la vague intelligence de leur turpitude, tout, jusqu’à ce malaise physique que l’on éprouve aux lendemains d’excès, les plongera dans une morne tristesse. Alors, de nouveau et pour la secouer, s’en débarrasser, il leur faudra se griser, rire et chanter, et telle sera leur vie, jusqu’à l’heure fatale dont la pensée les hante même dans leur ivresse, où il leur faudra remettre, entre les mains de Celui qui ne rit pas, le triste bilan de leur pauvre existence.

Je poussai un cri :