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Ces considérations, développées à propos du levier, ne sont pas une remarque particulière dont l’efficacité se borne à ce cas ; elles constituent une méthode générale ; elles renferment un principe qui s’applique à presque tous les mécanismes ; par ce principe, les géomètres pourront rendre compte des effets variés produits par ces divers engins en considérant simplement les vitesses avec lesquelles sont décrits certains arcs de cercle. « Car les propriétés de la balance[1] sont ramenées à celles du cercle ; les propriétés du levier à celles de la balance ; enfin la plupart des autres particularités offertes par les mouvements des mécaniques se ramènent aux propriétés du levier. — Tὰ μὲν οὖν περὶ τὸν ζυγὸν γινόμενα εἰς τὸν κύκλον ἀνάγεται, τὰ δὲ περὶ τὸν μοχλὸν εἰσ τὸν ζυγὸν, τὰ δ’ἄλλα πάντα σχεδὸν τὰ περὶ τὰσ κινήσεις τὰς μηχανικὰς εἰσ τὸν μοχλὸν. »

N’eût-il formulé que cette seule pensée, Aristote mériterait d’être célébré comme le père de la Mécanique rationnelle. Cette pensée, en effet, est la graine d’où sortiront, par un développement vingt fois séculaire, les puissantes ramifications du Principe des vitesses virtuelles[2].

Aristote n’était pas géomètre ; du Principe qu’il avait posé, il ne sut pas tirer avec une entière rigueur toutes les conséquences qui s’en pouvaient déduire ; parfois, aussi, il crut pouvoir l’appliquer à des problèmes dont la complexité excédait de beaucoup les moyens par lesquels

  1. Aristote, Mηχανικὰ Pροβλήματα, Δ. Édition Didot, t. IV, p 55.
  2. A une certain époque, il fut de mode de tenir pour nulle et non avenue la science d’Aristote et de ses commentateurs ; ce préjugé suffisait à rendre incompréhensibles plusieurs des progrès intellectuels les plus importants ; ainsi dans l’aperçu historique, d’ailleurs si beau, qui ouvre la Mécanique Analytique, Lagrange a écrit ce qui suit, à propos du Principe des vitesses virtuelles: « Pour peu qu’on examine les conditions de l’équilibre dans le levier et dans les autres machines, il est facile de reconnaître cette loi, que le poids et la puissance sont toujours en raison inverse des espaces que l’un et l’autre peuvent parcourir en même temps ; cependant il ne paraît pas que les anciens en aient eu connaissance. Guido Ubaldi est peut-être le premier qui l’ait aperçue dans le levier et dans les poulies mobiles ou moufles ».