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Avec la même richesse d’images, Léonard compare cette déperdition de la force vive à la continuelle tendance de la gravité vers le repos : « Si le poids désire la stabilité[1] et si la forza est toujours en désir de fuite, le poids est par lui-même sans fatigue, tandis que la forza n’en est jamais exempte. Plus le poids tombe, plus il augmente[2], et plus la forza tombe, plus elle diminue. Si l’un est éternel, l’autre est mortelle. Le poids est naturel et la forza accidentelle. Le poids désire stabilité et puis immobilité ; la forza désire fuite et mort d’elle-même. »

Comment cette continuelle tendance de la gravité à un état d’équilibre final[3] se manifeste-t-elle dans un mécanisme ? Elle se manifeste par cette loi qu’en un mécanisme en mouvement, « toujours le moteur est plus puissant que le mobile[4] » ; c’est en vertu de cette loi, par exemple, que « la corde qui descend des poulies sent plus de poids et, par conséquent, se fatigue plus que la corde opposée qui monte ». Cette inégalité, de sens invariable, entre la puissance du moteur et la résistance du mobile, se retrouve en tout mécanisme : « Par exemple[5], si tu veux que le poids b lève le poids a, les bras de la balance étant égaux, il est nécessaire que b soit plus lourd que a. Si tu voulais que le poids d lèvât le poids c, qui est plus lourd que lui, il serait nécessaire de lui faire faire une plus grande course dans sa descente que ne fait c dans sa

  1. Les Manuscrits de Léonard de Vinci, publiés par Ch. Ravaisson-Mollien ; Ms. A de la Bibliothèque de l’institut, fol. 35, recto. Paris, 1881.
  2. Léonard connaissait la chute accélérée des graves dont il a longuement traité en plusieurs passages, notamment au Ms. M de la Bibliothèque de l’Institut.
  3. Ici encore, Léonard ne fait que développer les enseignements de l’École : « Motus simplex terminatur ad quietem », y disait-on.
  4. Les Manuscrits de Léonard de Vinci, publiés par Ch. Ravaisson-Mollien ; Ms. E de la Bibliothèque de l’Institut, fol. 20, recto. Paris, 1888. — Cf. Ms. E, fol. 58, verso ; Ms. G, fol. 81, recto et fol. 82, recto. Paris, 1890.
  5. Les Manuscrits de Léonard de Vinci, publiés par Ch. Ravaisson-Mollien ; Ms. A de la Bibliothèque de l’Institut, fol. 22, verso. Paris, 1881.