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CHAPITRE VII.

moins précieux : nous possédons trois de ses élégies. Je voudrais les pouvoir transcrire tout entières, afin de faire comprendre comment Tyrtée s’est placé, dans l’estime des Grecs, au premier rang des poëtes, et comment il a mérité qu’Horace citât son nom à côté de celui d’Homère. Voici du moins le premier de ces trois morceaux, sauf quelques vers d’une couleur un peu antique, et que je n’ai pas osé traduire :

« Il est beau, pour un homme brave, de tomber aux premiers rangs de bataille, et de mourir en défendant sa patrie. Mais il n’est pas de plus lamentable destin que d’abandonner sa ville, ses fertiles domaines, et d’aller mendier par le monde en traînant après soi une mère chérie, et un vieux père, et de petits enfants, et une légitime épouse. Le fugitif sera un objet de haine parmi ceux à qui il viendra demander asile, poussé par le besoin et par l’affreuse pauvreté. Il déshonore sa race, il dégrade sa beauté ; à sa suite marchent tous les opprobres et tous les vices. Non, cet homme ainsi errant, nul éclat ne luit sur sa personne, nul respect ne fleurit désormais sur son nom. Combattons donc avec courage pour cette terre, et mourons pour nos enfants. N’épargnez plus votre vie, ô jeunes gens ! mais combattez de pied ferme, serrés les uns contre les autres. Ne vous laissez aller ni à la fuite honteuse ni à la crainte. Excitez dans votre âme un grand et vaillant courage, et ne songez pas à vous-mêmes dans la lutte contre les guerriers. Quant aux vieillards, dont les genoux ne sont plus agiles, ne fuyez pas en les abandonnant ; car c’est chose honteuse que, tombé aux premiers rangs de bataille, gise, en avant des jeunes gens, un vieillard à la tête déjà chenue, au menton grisonnant, exhalant dans la poussière son âme valeureuse… Mais tout sied à la jeunesse. Tant qu’il a la noble fleur de la jeunesse, le guerrier est pour les hommes un objet d’admiration, un objet d’amour pour les femmes, durant sa vie ; et il est beau encore quand il tombe aux premiers rangs de bataille. »

La deuxième élégie ne le cède point à la première. C’est la même vivacité de sentiment, le même éclat d’images, la même