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CHAPITRE XIX. SOPHOCLE.


CHAPITRE XIX.

SOPHOCLE.


Comparaison de Sophocle et d'Eschyle. — Système dramatique de Sophocle. — Tragédies de Sophocle. — Vie de Sophocle.

Comparaison de Sophocle et d’Eschyle.


L’art d’Eschyle n’était pas un pur instinct : il y avait en cet homme extraordinaire autre chose que le dieu dont parle Platon, qui se sert à sa guise du génie des poëtes inspirés. Je ne crois donc guère à ce mot qu’on prête à Sophocle : « Eschyle fait ce qui est bien, mais sans le savoir. » Si Sophocle tenait ce langage, il faut le taxer de prévention et d’injustice. Mais ce que Sophocle eût pu dire avec toute raison, c’est ce qu’un pareil mot donne à entendre ; car personne n’a jamais su, mieux que Sophocle, ce qu’il faisait : Sophocle est l’artiste par excellence, l’artiste habile entre tous à préparer l’effet qu’il veut produire, à disposer les moyens, en vue de la fin. Il n’est pas difficile de relever, dans Eschyle, des invraisemblances quelquefois choquantes, des comparaisons fausses, des images outrées, des expressions bizarres ; défauts bien plus rares pourtant qu’on ne le crie, et rachetés par combien de qualités ! Mais Sophocle échappe au blâme, et n’a pas même ces instants de sommeil qu’Horace pardonne à Homère. C’est la perfection, autant qu’il est donné de la réaliser ; non pas une simple absence de défauts, qui est le pire de tous les défauts, mais un ensemble continu de beautés, et dans l’invention, et dans la coordination des parties, et dans la pensée, et dans la diction.

Sophocle n’a pas toute l’audace d’Eschyle ; et, s’il atteint quelquefois au sublime, pourtant le sublime n’est pas son élément ordinaire. « Il respecte tellement, dit l’abbé Barthélemy d’après les anciens, les limites de la véritable grandeur, que, dans la crainte de les franchir, il lui arrive quelquefois de n’en pas approcher. Au milieu d’une course rapide, au moment qu’il va tout embraser, on le voit soudain s’arrêter