Page:Pilard - Deux mois à Lille par un professeur de musique, 1867.djvu/40

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bien le dire, le feu de l’inspiration est quelquefois complètement éteint. C’est ainsi qu’il y a peu de temps, un des premiers violoncellistes de Lille et moi étudiions concurremment une sonate écrite par ce grand maître pour piano et violoncelle ; on dit que dans l’antiquité deux augures ne pouvaient se regarder sans rire, mais du moins pouvaient-ils s’aimer et s’estimer, tandis que deux musiciens ayant bien leurs deux oreilles ne peuvent vraiment jouer la sonate dont je parle sans avoir horreur l’un de l’autre : toutes les duretés possibles, les rencontres les plus désagréables, les rythmes les plus contrariés et les plus bizarres sont accumulés dans cette œuvre étrange. Beethoven semble avoir voulu porter un défi aux musiciens. Si l’on ne savait quel est l’auteur, on croirait tout d’abord entendre un pêle-mêle de notes incohérentes et jetées au hasard sur le papier ; et pourtant, non, lisez, analysez, tout est bien dans les règles ; mais un élève d’harmonie qui présenterait des choses de ce genre à son professeur serait vertement blâmé de son peu de tact auditif et prié d’écrire à l’avenir plus convenablement.

— « C’est donc une nouvelle édition des Grands hommes en robe de chambre que vous nous donnez là ! Il ne manque plus que de nous faire assister à la préparation de leur pot-au-feu et à tous les détails domestiques de leur vie privée. Je serais curieuse, en vérité de savoir ce que le génie et l’inspiration en musique ont de commun avec ces petites mesquineries d’intérieur que vous nous dévoilez.

— « Madame, chez les grands musiciens comme chez les petits, l’inspiration dépend, plus que vous ne le pensez, des différentes conditions d’existence dans lesquelles ils se trouvent. Vous m’avez invité l’autre fois à venir respirer dans une soirée intime ce parfum d’aménité qui embaume votre agréable intérieur ; en même temps que votre lettre, j’en recevais une autre qui m’apprenait que mes parents et mes amis étaient